2022 CCA Carto-Québec Prize
The CCA Carto-Québec Prize is an annual mapping competition for the best cartographic product in French. It recognizes excellence in student map design and production and is open to all post-secondary students who have completed and produced a cartographic thematic map in French during the preceding school year.
The Carto-Québec Prize Award consists of two prizes, one for entries from college-level or CEGEP students, and one for entries from university-level students in the following category:
- A thematic map on any subject. A thematic map is a map that is meant to communicate a specific single subject matter within a particular geographic area. They are often defined as special purpose maps and can be either quantitative or qualitative in nature. The International Cartographic Association (ICA) defines the thematic map this way: “A map designed to demonstrate particular features or concepts. In conventional use this term excludes topographic maps” (Dent 1999, 8).
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Carto-Québec Prize 2022 Winner (University Level) – “Retour au Rwanda“
The 2022 Carto-Québec Prize University level was presented to Olmedo Elise from Université Concordia for her map titled “Retour au Rwanda”
Objectifs de conception: Les récits de vie sont une matière vivante. Quand ils sont enregistrés, ils révèlent un moment de témoignage avec ses silences, ses émotions, la joie ou la difficulté de se remémorer certains épisodes de sa vie. Les réécouter à distance, quelques mois voire quelques années après, suscite d’autres émotions encore et confronte au caractère fragmentaire de tout récit. Comment les cartes peuvent-elles rendre compte de cette dimension éminemment subjective et toujours recomposée de la mémoire ? Cette recomposition peut se faire au sein du récit lui-même quand le porteur de récit revient à plusieurs reprises sur un fait. Elle peut sinon nécessiter des compléments, à travers de nouveaux entretiens par exemple. Mais dans un cas comme dans l’autre, la carte est-elle à même de témoigner de ce processus de la mémoire ?
« Retour au Rwanda » est extraite d’une série de cartes sensibles réalisées à la main pour offrir une expression fine des lieux et des souvenirs décrits par les porteurs de récits de la communauté rwandaise de Montréal. Il s’agissait d’explorer en profondeur certains épisodes de ces histoires d’exil, particulièrement difficiles à cartographier avec une carte géolocalisée qui peine à rendre compte de ces recompositions de la mémoire et des émotions associées. Cet atlas subjectif vient en effet compléter une première série de cartes réalisées avec le logiciel « Atlascine » développé par Sébastien Caquard et le Géomedia Lab. L’extrait de récit cartographié est accessible à partir de ce lien (de 02’05’’43 à 02’14’’37) : https://rs-atlascine.concordia.ca/rwanda/index.html?module=module.stories
Cette carte nous donne un accès au récit traumatique d’Emmanuel Habimana, un réfugié rwandais qui vit à Montréal depuis 1980. Quand il était enfant, Emmanuel a été témoin du meurtre de nombreux villageois Tutsis dans la rivière Ukarara. Cartographier cet événement contribue ainsi à représenter la montée des violences au Rwanda depuis les années 1960, jusqu’à leur paroxysme au moment du génocide de 1994 contre les Tutsis. Cette carte montre aussi le long et difficile processus de raconter cette expérience et l’émotion qu’elle suscite. Comme s’il tournait autour du sujet, évitant le cœur de l’histoire, il raconte d’abord deux premiers voyages au Rwanda, avant de retracer son retour dans sa région natale, Gikongoro, l’un des lieux les plus important du génocide. Deux voyages sont nécessaires avant qu’Emmanuel puisse revenir dans sa région natale. L’évocation de ces voyages le ramène chaque fois à ces images terribles qu’il a vu étant enfant et suscite une forte émotion (en bleu). C’est pourquoi cet épisode se trouve au centre de la carte (en violet), chaque voyage (en vert) lui permettant de s’en rapprocher à la fois géographiquement et symboliquement. Il évoque dans la suite Cette carte nous donne un ade son récit son indécision quant à l’idée d’effectuer un troisième voyage et le « courage » qui lui a fallu pour l’entreprendre (en jaune). Car « il y a des gens dans ce mémorial que je connais et ils ont été tués par des gens que je connais » dit Emmanuel.
Cette carte fait émerger la spatialité interne du récit en proposant un mouvement général centrifuge vers le cœur du récit : un traumatisme d’enfance. Au-delà de cette dynamique générale de la carte, un chemin aux nombreuses ramifications se dessine (en orange), c’est le flux du récit contenant les images évoquées au cours de la narration. La carte montre comment elles sont associées à des lieux, comme à Kibeho où les paysages de champs de maïs ont remplacé la maison de Calixte qui la cherche « ici » et « là-bas » mais ne la retrouve pas. On se rend compte ici à quel point le retour au Rwanda est, comme dans beaucoup d’autres récits, hanté par le souvenir du génocide. Trois mémoriaux sont mentionnés, le mémorial de Kigali, celui de Kibeho et celui de Gikongoro. Pourtant, Emmanuel n’a pas visité celui de Kigali en 1985 car celui-ci n’existait pas à l’époque, néanmoins il est mentionné à ce moment-là car cette expérience reste fortement connectée à son retour au Rwanda. Questionner ce contexte d’élicitation permet de se focaliser sur le point de vue du porteur de récit. Il permet aussi de rendre compte du lent processus de conscientisation de la mémoire, tantôt foisonnante, tantôt elliptique. C’est ainsi que se recompose la mémoire d’un lieu vécu.
Ce type de carte est spécifiquement développé pour aborder la dimension subjective d’une histoire de vie. Cette approche permet d’en explorer de nouvelles dimensions, en s’attachant à voir comment les personnes vivent et se figurent leurs propres espaces vécus. Au cours de mon travail de master et de doctorat j’ai développé ce concept de cartographie sensible, au départ à travers la production de cartes textiles relatant les lieux de vie de femmes marocaines. Cette production personnelle puis collaborative et réalisée avec les femmes, m’a amenée à développer un apport théorique autour de cette cartographie alternative et une pratique d’expérimentation de cartographie créative à partir du tissu, puis d’autres médiums comme le dessin. De plus en plus reconnue et mobilisées dans les recherches notamment en France, la cartographie sensible ouvre ainsi un champ étendu de possibilités pour traiter et intégrer des données qualitatives en cartographie, comme celles issues des entretiens. Par sa dimension de recherche-création elle renouvelle aussi des pratiques cartographiques plus soucieuses de restituer le processus.
Les différentes esquisses et dessins qui ont mené à la création de cette carte sont exposés au sein de L’Atlas subjectif d’Emmanuel Habimana édité au format papier en 2022 (auto-édition). Ils retracent non seulement la compréhension du processus de la mémoire mais également le processus de construction de la carte. Ils montrent comment j’ai pu naviguer dans le récit d’Emmanuel. Une autre dimension importante du processus dans ce travail est celle de la collaboration avec les porteurs de récits. Cette carte étant conçue comme un éclairage géographique livré au porteur de récit sur sa propre histoire, elle n’est pas un aboutissement mais plutôt le point de départ d’un dialogue qui pourra, peut-être, ouvrir de nouvelles pistes susceptibles de s’ajouter au récit initial.